Une classe du patrimoine littéraire :
Sur les traces de Maupassant

C'est un récit à trois voix qui est proposé ici, les deux enseignants et l'écrivain qui ont mené ce projet : Ginette Poullet, professeur documentaliste, et Jean Pierre Fournier, professeur de lettres, signent respectivement " l'avant " et " l'après ", tandis que l'écrivain Simone Arèse livre ses moments vécus au cours de la semaine.

AVANT

Il existe dans plusieurs régions de France des lieux habités par la mémoire d'écrivains, qui accueillent les enfants dans le cadre de classes transplantées : classe Rabelais en Touraine, classe Madame de Sévigné en Provence, par exemple. Comment résister à l'invitation que lance Guy de Maupassant dans ses contes et nouvelles traversés par le vent des plaines, le travail des paysans, les embruns de la Manche ?

Dans un projet de cette envergure, une collaboration entre les enseignants, si elle est nécessaire, n'est pas suffisante. D'autres acteurs vont intervenir et se révéler indispensables dans cette approche. Tout d'abord l'écrivain qui va allumer le désir et l'inspiration. Ensuite des lieux vont devenir incontournables pour planter le décor, non pas un décor factice et désincarné, mais des lieux authentiques afin que puissent s'opérer une imprégnation, un travail d'identification. Il faudra aussi que ces lieux soient rendus lisibles, et les gens du cru seront sollicités. Ce sera la ferme de l'Archelle, à Hattenville, près de Fauville en Caux, et ses animateurs. Enfin, il est temps de présenter les acteurs principaux : les élèves puisque ce sont eux qui seront amenés à produire des écrits: c'est une classe de quatrième d'un niveau correct.

Des échéances sont établies, les contacts sont pris, le projet existe maintenant.

Comment s'est s'organisée cette classe du patrimoine ?
L'année scolaire précédente, la volonté de construire une activité d'écriture créative à partir des œuvres de Maupassant est formalisée par les deux professeurs et transmise sous la forme d'un dossier à la Direction Académique d'Action Culturelle avec l'aval du Chef d'Etablissement. Ce dossier comporte deux volets : le premier est un descriptif, et, dans le second, figure un montage financier prévisionnel, puisque la DAAC et la DRAC cofinancent le projet avec le collège, si celui-ci est retenu en commission. Ce qui fut le cas. Les élèves partiront donc une semaine à la Ferme de l'Archelle, à la rencontre de Maupassant à travers des écrits personnels, des visites et des activités autour du patrimoine du Pays de Caux.

Dès le début de l'année scolaire, les professeurs vont sensibiliser les élèves à l'écriture de Maupassant, en prenant connaissance de ses œuvres, en découvrant son univers, son époque. Cela soulève toute une galerie de personnages : travailleurs de la terre, petits notables, toute une géographie, clos-masure, plaines, bord de mer.

Au cours de cette étape, se dessine la nature du projet que les élèves ne reçoivent pas forcément avec un enthousiasme débordant. Comment ? écrire (faire des rédactions !) pendant toute une semaine dans une ferme, à la campagne, avec un écrivain ?

Les représentations scolaires sont coriaces et c'est l'accueil de Simone Arèse au collège qui va débloquer la situation. Elle écrit depuis toujours sur la région, elle sait tirer des petits riens de la vie -faits divers, paysage, scène fixée sur la toile d'un peintre - une histoire émouvante, une atmosphère. Lors du premier contact avec la classe, au début du second trimestre, elle se présente, propose son écriture, et les dirige insensiblement vers une autre façon d'écrire.

Simone reviendra les accompagner tout au long de la semaine à la ferme de l'Archelle. C'est en effet dans ce clos-masure, conçu pour recevoir des groupes, que les adolescents vivront leur semaine " Maupassant ". Des contacts ont été pris depuis l'année précédente avec Maurice Varin responsable du centre d'accueil, qui, le premier jour, racontera l'histoire des bâtiments aux élèves. Il évoquera leur fonction, le rôle de la mare où s'ébat un basse cour bruyante, la cour plantée de pommiers. Il faudra que nos jeunes citadins s'accommodent de la boue, du chant (très matinal) du coq et des insectes indésirables qui les feront longtemps hurler…Le contenu de la semaine se dessine.

Quatre demi journées d'écriture sont retenues suivant les thèmes suivants : le paysage, le fait divers, le fantastique, et une fiction autour d'une œuvre choisie dans les collections du Musée Malraux au Havre que nous visiterons, une sculpture, un ex-voto remarqué à Fécamp. Chaque fois, Simone lancera avec un de ses écrits personnels, une piste pour mettre l'imagination en appétit. Puis la classe se dispersera pour écrire…sous les pommiers , allongé sur son lit, installé devant la vieille cheminée, à la table de la salle à manger. Un heure plus tard , ils auront produit un texte, seul ou en petits groupes. Simone et les professeurs aussi. On se rassemblera pour livrer ses écrits, ce qui n'est pas obligatoire, mais tous le feront au moins une fois dans la semaine.

Ces demi- journées demandent beaucoup de concentration et des respirations seront prévues. Elles viendront nourrir les écrits ultérieurs, car durant la semaine, un journal de bord est tenu. En milieu de semaine, Marie la cuisinière animera un atelier de pâtisserie : pains, brioches et douillons seront fabriqués. On aura pris soin d'allumer le vieux four à pain du XVIIIe. siècle dès le matin. L'après- midi, on préparera et on cuira. Le lendemain, viendra le verdict avec la dégustation. Un circuit d'une journée mènera la classe sur les traces du " regardeur " : Fécamp, Etretat, Le Havre.

PENDANT

J'ai le meilleur rôle, semble-t-il. Je suis le personnage qu'on attend, qui n'a pas paru en coulisses, mais qu'on annonce en grand sur l'affiche, qui entre en scène quand le public est bien chauffé : Lécrivain. Je n'ai pas répété dirait-on, et ne compte sur aucun souffleur. Mais c'est un rôle d'acrobate, le pied doit être ferme sur la corde. En général, pour les élèves, les écrivains sont morts, découpés en tranches dans leur programme. Au mieux, les derniers survivants de l'espèce passent à la télé, et on peut zapper. Les convaincre donc, en un clin d'œil, que non seulement je suis vivante, mais que je ne les écraserai pas de ma science. Mieux : qu'on va s'amuser, prendre du plaisir ensemble. D'ailleurs, aujourd'hui, il n'y aura pas de note, et l'orthographe, qui met parfois hors jeu, on la laisse au vestiaire, avec le stylo rouge de l'autorité, pas de temps à perdre avec ce ménage - qui viendra plus tard - l'important c'est d'imaginer des histoires.

Imaginer ! Ce n'est qu'un cri : on ne va pas savoir, on n'a pas d'idée. Et puis Maupassant c'est à des années-lumière. La lumière, justement, elle vous attend, sur la vague, du haut de la falaise d'Etretat, ou traversant le feuillage des grands hêtres autour du clos-masure, crevant un nuage de zinc au-dessus du soufre d'un champ de colza … Moi je n'ai pas projet de faire de vous des zécrivains, je veux seulement vous apprendre à être des regardeurs, ainsi que se décrivait notre bonhomme. Après, il n'y aura plus qu'à tirer le fil. Le fil intérieur, dont vous ne saviez même pas qu'il était là, enfermé dans vos poitrines. Pour vous mettre en train, je vous lis une de mes nouvelles, et après on s'y met, tous : vous, le prof, la documentaliste et moi. Parce qu'aujourd'hui, non seulement on est désinvolte avec les règles habituelles, mais on inaugure d'être en démocratie : tout le monde planche.

Ah, le beau silence de l'écriture, ah, les coquetteries de la lecture, embarrassées d'hésitation, de timidité réelle ou feinte … Je ne suis plus seule sur la corde, ils y sont avec moi, et leurs voix, peut-être, leurs voix sûrement, trahiront leur étonnement, leur bonheur, leur émotion.

J'ai gagné. Je peux rentrer chez moi, ayant semé -je l'espère - la poudre magique de la fée Clochette. Il n'y a plus de mauvais garçons sur l'île au trésor …

APRES

Les vacances de printemps qui suivent le séjour à la ferme de l'Archelle vont permettre de se reposer et de se retrouver dans le cadre plus habituel de la famille après cette expérience enrichissante de vie en commun, chacun ayant appris à mieux connaître l'autre, comme le note Aurélie : " La semaine à la ferme s'est très bien déroulée. L'endroit est agréable et les gens de l'Archelle sont très sympathiques. L'entente avec mes camarades était bonne. Cela a permis de mieux se connaître et d'effacer certains préjugés. "

Durant les vacances, les élèves sont invités à mettre au propre le journal de bord qu'ils ont tenu régulièrement au cours de la semaine et à le compléter à l'aide de photos, de dessins ou de croquis et des différents documents et recettes collectés au cours des visites et des activités. Les consignes de tenue de ce journal de bord consistaient à noter le déroulement de chaque journée, avec ses impressions. Chaque soir, un moment était consacré à sa rédaction. Les textes produits au cours des ateliers d'écriture y seront recopiés après avoir été toilettés sur le plan de la langue.

De retour au collège, le projet entrera dans sa troisième étape avec la réalisation d'un Cdrom. construit par Ginette Poullet, professeur-documentaliste. Avec ses différentes rubriques (" j'ai grandi sur le rivage de la mer ", " je suis un regardeur ", " aux champs ", " promenades à Miromesnil et Etretat ", " L'Archelle ", etc.), il invitera à une promenade virtuelle à la découverte du Pays de Caux et de Maupassant. Le chapitre consacré à l'Archelle sera élaboré à partir de photos prises par les élèves au cours de leur séjour et des textes qu'ils ont écrits.
(Ce Cdrom, réalisé au cours du troisième trimestre de l'année scolaire 1999-2000, est disponible auprès de Ginette Poullet, Collège Alexandre Dumas, 76370 Neuville-lès-Dieppe, tel : 02-32-14-62-10)

Dès la rentrée des vacances, les professeurs devront renouer la relation avec les élèves sur un mode plus conventionnel. En effet durant le déroulement des ateliers d'écriture, le rôle de l'enseignant n'est plus tout à fait le même qu'au collège. Il doit " se démettre " de son statut de " maître " au profit de l'écrivain qui mène l'atelier. Le professeur n'est plus là pour diriger sa classe mais pour assister la personne qui, le temps de ces ateliers, " prend le pouvoir " à sa place. Ce glissement n'est pas toujours évident, ni facile, car l'enseignant ne doit pas pour autant cesser d'exercer son autorité afin que les élèves ne se sentent pas en récréation mais bien attelés à un travail inhabituel.

Il s'agira également de renouer avec une évaluation plus normative et de renoncer au plaisir et à la gratuité qui prévalaient dans les ateliers, ce qu'avait particulièrement apprécié Maxime : " Le matin, je n'ai pas été très inspiré et je n'ai pas lu. Néanmoins, les ateliers sont intéressants car nous pouvons écrire n'importe où dans la ferme. L'après-midi, j'ai été beaucoup plus inspiré que le matin et j'ai lu mon histoire. Elle semble avoir été appréciée par tout le monde. "

Le professeur de français cherchera à tirer profit des acquis de cette découverte littéraire et culturelle dans la conduite de sa classe. La familiarité avec des textes littéraires et un écrivain vivant a transformé le regard des élèves sur la littérature qu'on enseigne au collège. Elle leur paraît désormais moins étrangère et moins intimidante. De fréquents rappels à leur expérience d'" écrivains " permettront de mieux comprendre le rôle des métaphores dans tel poème ou celui des différents niveaux de langue dans tel récit. Le passage par l'oralisation des textes a permis de lever les inhibitions liées à la mauvaise maîtrise des outils de la langue. On a appris à distinguer ce qui relève de la sensibilité littéraire et ce qui appartient au domaine de la langue. Les priorités se sont trouvées inversées, libérant chez ces élèves leur capacité d'invention et permettant de produire des textes de bonne qualité sur le plan de l'imagination, du vocabulaire et de la conduite du récit. Yohann, qui vient de Toulouse et qui maîtrise mal les codes de l'écrit, a semble-t-il pris goût à l'écriture : " Mes sentiments pour l'écriture ont assez évolué, mais paraît-il mon expression est mauvaise, et là je ne pourrai rien changer. Bref un jour j'écrirai peut-être un livre sur Toulouse et j'espère que vous le lirez. "

Karine note en guise de bilan dans son journal de bord : " Nous avons appris à voir, avec tous nos sens, et qu'on pouvait écrire à partir de pas grand chose, d'une armoire par exemple ou d'un rouleau à pâtisserie, comme dans les nouvelles que Simone Arèse nous a lues. " Elle rejoint ainsi ce qu'indiquait Maupassant dans une lettre à Maurice Vacaire (17 juillet 1885) : " Je crois que pour produire, il ne faut pas trop raisonner. Mais il faut regarder beaucoup et songer à ce qu'on a vu. Voir : tout est là, et voir juste. J'entends par voir juste, voir avec ses propres yeux et non ceux des maîtres. L'originalité d'un artiste s'indique d'abord dans les petites choses et non dans les grandes. Des chefs-d'œuvre ont été faits sur d'insignifiants détails, sur des objets vulgaires. Il faut trouver aux choses une signification qui n'a pas encore été découverte et tâcher de l'exprimer d'une façon personnelle. Celui qui m'étonnera en me parlant d'un caillou, d'un tronc d'arbre, d'un rat, d'une vieille chaise, sera, certes, sur la voie de l'art et apte, plus tard, aux grands sujets. "

Rappelons pour conclure que cette classe Maupassant s'inscrit dans le cadre des classes du patrimoine, mises en place par le rectorat et la direction régionale des affaires culturelles. Les dossiers de demande de subvention sont à retirer auprès de la D.A.A.C. du rectorat en fin d'année scolaire (s'adresser à Mme Quénehen, tel. 02-35-14-78-45). Simone Arèse a déjà animé plusieurs classes Maupassant à la ferme de l'Archelle, avec des élèves de collège (4e et 3e) et de lycée professionnel.



Copyright © 2004 Georges-Marie CHATELAIN - Dernière modification : 10 Ocxtobre 2004